[Benzine Live Report] Alex Henry Foster & The Long Shadows à Supersonic Records : ” Love ! Love ! Love !”

As published in Benzine Magazine (in French only)

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Alex Henry Foster jouant deux soirs à Paris, c’est quelque chose d’exceptionnel : la star du Rock québécois, accompagnée de ses Long Shadows, nous offre de très longs sets récitatifs, émotionnellement chargés, à la fois intenses et potentiellement… ennuyeux pour qui ne partage pas son délire. En tout cas, une expérience singulière !
Soirée événement au Supersonic, qui a d’ailleurs déménagé pour quelques jours dans les locaux adjacents du disquaire, pour cause de travaux d’amélioration du son dans la salle : Alex Foster et ses Québécois fous de The Long Shadows sont à Paris, et ce passage au Supersonic succède à une soirée qu’on nous a dépeinte comme épique, la veille, au Zèbre de Belleville (2h40 de set, c’est quasiment springsteenien !…). Il faut donc venir très tôt, au moins deux heures avant le début du concert, pour assurer l’accès, et la petite salle bien agréable, très climatisée – trop même, gare aux rhumes ! – est très vite remplie. Le set lui-même a été avancé de quasiment une heure pour laisser du temps au groupe. Une particularité supplémentaire ce soir : avec ses 6 musiciens et un très imposant matériel, la petite scène triangulaire du Supersonic Records ne suffit pas, et Alex et ses deux guitaristes sont installés à même le sol : c’est parfait pour la proximité (enfin, pour ceux qui ne craignent plus l’échange de body fluids, comme le dira en plaisantant Alex…) mais pas idéal pour la visibilité si l’on n’a pas assuré le premier rang. Sinon, le son sera absolument parfait, et les lumières bien plus acceptables que celles de la salle principale…

20h40 : c’est Sef Lemelin, l’un des guitaristes du groupe qui ouvre la soirée – on ne peut pas vraiment parler de première partie… – avec 15 courtes minutes instrumentales, pas inintéressantes, une sorte de post rock paradoxalement posé sur un fond d’électronique. Malheureusement une grosse et bruyante bande d’agités, sans doute bien alcoolisés, qui vont sévir toute la soirée, empêche la concentration qui est nécessaire pour apprécier ce travail original.
21h20 : Alex Henry Foster, trublion format miniature, entame un set qui va durer (seulement !) 2h10, ce qui doit bien constituer un record absolu pour le Supersonic : on commence par une longue Ouverture en forme de chaos sonore abstrait d’une quinzaine de minutes, qui, quelque part, pose les bases de la soirée.

La musique d’Alex Foster en solo – enfin c’est un peu injuste de la qualifier de telle, vu l’importance des cinq musiciens qui l’accompagnent, mais il faut la séparer de celle, triomphale, de son ex-groupe Your Favorite Enemies, plus rock « normal » -, c’est un concept particulier : Alex, on le sait très inspiré par tout un tas de poètes classiques (Baudelaire, Rilke) et modernes (Kerouac, Ginsberg), récite ses textes plus qu’il ne les chante, sur un tapis sonore à la fois informe et régulièrement intense… Comme s’il avait choisi de ne garder d’un concert de Rock que les moments de stase – quand la musique se suspend au cours d’un morceau pour faire monter la tension – et ceux de paroxysme, en retirant tout le reste, structure, mélodie, couplets et refrains : bon, on exagère un peu, mais à peine. S’il fallait chercher des choses similaires pour expliquer son approche à des gens qui ne l’ont jamais entendue, on pourrait dire qu’on est entre le Nick Cave (une influence revendiquée) des débuts des Bad Seeds et Patti Smith et ses longues plages un peu hippies.
Alex incarne sur scène, avec une passion qui ne se dément jamais, ses longs textes – écrits sur un cahier placé devant lui sur son petit clavier. Il joue en permanence sur une tension émotionnelle qui monte et redescend, il ne laisse la musique exploser que brièvement, et toujours de manière abstraite, jamais réellement libératrice. Comme un jeu avec les attentes du public et aussi avec les codes de l’intensité d’un concert de rock habituel. C’est parfois prenant, fascinant, mais ça donne finalement une impression de surplace qui est à la fois intéressante (originale…) mais qui semble assez interminable, sur des morceaux qui atteignent à chaque fois une vingtaine de minutes. D’ailleurs au bout d’une heure, une partie du public a déclaré forfait, tandis que le reste crie son enthousiasme, et déploie une banderole en l’honneur du groupe et du Québec. A notre goût, le superbe The Hunter sera le titre le plus convaincant de la soirée, mais chacun trouvera sans doute son chemin à sa manière dans ce labyrinthe épuisant d’émotions fortes.
La dernière partie du set voit Alex s’engager dans des discussions avec le public, philosopher sur la vie après la pandémie, sur la nécessité du lien social et du contact tout court, sur l’amitié entre la France et le Québec, et finalement sur… l’Amour, avec générosité et sans crainte d’enfoncer des portes ouvertes. Alex chante au milieu de son public, monte sur le bar, réclame un whisky (« Je ne bois pas, mais un whisky, ce n’est pas de l’alcool »). A la fin de Shadows of our Evening Tides, long morceau lyrique qu’il présente comme très intime, écrit à la mort de son père, il fait chanter le public en chœur : « Love ! Love ! Love ! ».

Une expérience émotionnelle.

ERIC DEBARNOT
August 5, 2022
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