J’ai écrit les premiers mots de ce qui allait devenir les paroles de « Summertime Departures » alors que je vivais dans la ville éblouissante de Tanger, où j’ai en quelque sorte dérivé dans un moment de grande confusion. Le décès de mon père étant l’élément déclencheur principal du vide qui faisait écho en moi et que je ne pouvais plus ignorer après des années à essayer d’éviter tout type d’honnêteté introspective sur ce qui semblait être une existence absurde à ce stade de ma vie.
Pour un fils, la mort d’un père est souvent la fin de l’innocence et des illusions qui l’accompagnent. Le temps devient de façon inattendue un ennemi implacable cherchant à obtenir sa juste part des moments joyeux que vous avez vécus dans le passé ainsi qu’une ombre fidèle qui vous suit toujours à travers les préoccupations quotidiennes. Nous serions alors prêts à tout donner en échange de la promesse à peine murmurée de jours paisibles à venir… Et comme j’ai toujours embrassé le concept d’impermanence, je pensais qu’il devrait y avoir beaucoup de sérénité avec la mort… J’avais tort.
En fait, la mort de mon père était comme si j’avais perdu assez de moi-même pour me demander soudainement qui j’étais vraiment et ce que cela signifiait de faire face à une vérité qui n’impliquait pas la foi, ne serait-ce que la sensation insaisissable de devoir lâcher prise pour continuer d’avancer. Il y a une profonde lucidité qui vient avec l’honnêteté et devoir faire face à la réalité qui vient avec la mort. Je savais d’une certaine façon que je trouverais assez de bêtises pour me convaincre d’une mesure intelligible d’acceptation afin de trouver un but dans toutes ces émotions, autant que dans leur déni ou leur absence. Encore une fois, j’avais tort.
Ma façon de gérer tout cela fut le silence et l’isolement, même si sa présence, ses souvenirs et sa mémoire, autant que toutes les questions et le ressentiment qui l’accompagnaient, me hantaient. Je rêvais si souvent de conversations que nous n’avions jamais eues que je pensais devenir fou, sinon obsédé. Je me demandais si c’était de la peine, de la culpabilité, de la colère, mais c’était quelque chose d’intangible. Mon père a consacré la majeure partie de sa vie à ses fortes croyances spirituelles et il a cru jusqu’à la fin qu’il serait guéri. Même s’il savait que son cancer était incurable, il a chanté et loué jusqu’à son dernier souffle. Il était tellement convaincu de sa guérison miraculeuse qu’il n’a jamais pensé qu’il serait nécessaire d’écrire quelques mots de lui-même, de partager des histoires jamais racontées ou ce qu’il faisait de sa situation… Cette conviction profonde me troubla incroyablement, surtout après son décès, mais j’ai refusé d’aborder tout ça… Jusqu’à ce que j’arrive à Tanger… Et je savais que je devais le faire.
Alors que j’étais seul dans un endroit aussi fascinant que déconcertant, j’ai passé d’innombrables jours à observer la mer entre l’Europe et l’Afrique depuis le toit-terrasse d’une petite maison d’hôtes, à regarder toutes les personnes désireuses de faire le trajet en ferry, quelques minutes seulement qui les éloignaient du rêve d’une vie meilleure, tous debout avec leurs bras pleins d’espoir essayant de s’étirer juste assez pour atteindre un rivage de nouvelles possibilités qui semble disparaître lentement avec chaque ardente prière, à voir les enfants jouer au football dans des rues anciennes et étroites, les mêmes rues qui ont vu leurs pères et grands-pères envisager une vie plus singulière et l’amour éternel auquel ne croient que les jeunes innocents, à regarder les femmes me sourire paisiblement en tirant de l’eau de la fontaine publique de la kasbah, à observer les personnes âgées lire de la poésie tandis que d’autres louent les merveilles de ce qui semble si ordinaire aux passants marchant toujours un peu plus vite au fil des jours. C’était un monde de paradoxes uniques reflétant mon état de confusion émotionnelle juste devant mes yeux.
Être témoin de la façon dont ces personnes vivaient avec la notion du “maintenant” m’a offert une perspective à laquelle je ne pouvais plus échapper, quelque chose qui allait bien au-delà du deuil, de la vie, de la mort et de moi-même. Par conséquent, j’ai commencé à écrire. Je n’ai jamais pensé avoir le courage d’être aussi honnête, d’être aussi vulnérable, d’exposer ce que je vivais et de trouver finalement un moyen de le laisser partir, d’être libéré. Tout a commencé à faire du sens avec l’image de la pierre posée sur un sanctuaire… Ce fut le point de départ. Ce fut le point de départ un peu étrange mais significatif pour moi et pour la chanson elle-même. L’idée était une « balise » témoignant de la fondation qu’une personne pouvait avoir été dans nos vies… une pierre « commune » transcendant toute sorte d’ornements précieux.
Cette image m’a amené à me demander ce qu’il nous reste finalement, quand le temps passe, quand les êtres chers disparaissent, quand les promesses s’évanouissent avec les souvenirs de ceux que nous aimions, quand les noms ne sont plus mentionnés, quand nos plus beaux souvenirs de quelqu’un que nous chérissions font de la place pour le coeur de quelqu’un d’autre, lorsque les couleurs vives des fleurs ont disparu depuis longtemps, lorsque le temps respecte son serment et nous rattrape, lorsque les rêves et leurs espoirs brillent, quand nous sommes une âme sans visage à la vue de quelqu’un d’autre, tout comme ces voyageurs se tiennent sur la plage en attendant un moyen de tout laisser derrière eux, les enfants perdent leur innocence avant l’heure, les femmes dépérissent avec chaque goutte d’eau qu’elles doivent encore puiser ou une personne âgée qui devient invisible, tout comme la magnificence de la vie que nous ne pouvons plus voir… Quand nous sommes perdus au gré des vents… Quand il n’y a pas de bien ou de mal dans la mort…
Et donc, en le considérant maintenant avec la perspective honnête de mes propres paradoxes et de ma vulnérabilité, je comprends que “Summertime Departures” est ma façon de dire qu’indépendamment de ce que nous avons passé toute notre vie à croire ou de ce que nous avons oublié avec le temps, il y a une pérennité au milieu des peines les plus douloureuses et notre décision de lâcher prise à travers l’acceptation que l’amour, tout comme la pierre, durera toujours.
– Alex
DATE DE SORTIE
17 janvier 2020
PAROLES & MUSIQUE
Alex Henry Foster
PRODUIT PAR
Alex Henry Foster
Ben Lemelin
MUSICIENS ADDITIONNELS
Ben Lemelin
Jeff Beaulieu
Sef Lemelin
Miss Isabel
Charles Moose Allicie
LIEU D’ENREGISTREMENT
Upper Room Studio
Québec, Canada
Label
Hopeful Tragedy Records