[SHOOT ME AGAIN] REPORTAGE : The Pineapple Thief : La réverb’ est dans le fruit…
PUBLIÉ INITIALEMENT DANS Shoot Me Again
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Nous avons tendance à l’oublier mais la frustration de ne pas pouvoir assister à un show engendrée par ces mois d’attente interminables n’est certainement pas réservée uniquement aux spectateur.rice.s de tous horizons. En effet, les artistes et musicien.ne.s du monde entier ont également eu ‘le temps long’ et, spolié.e.s par cette chose « dont on souhaiterait ne plus jamais prononcer le nom », n’ont eu de cesse que de tenter de se renouveler afin de garder le contact avec leurs fans. Nul n’échappe à la règle et les ‘progresseux’ de The Pineapple Thief, dont le dernier album (« Versions of The Truth ») est paru il y a plus d’un an désormais, trépignaient d’impatience de retrouver leurs braves afficionados pour une tournée des salles tant attendue. C’est désormais chose réglée avec notamment un passage par la case ‘Ancienne Belgique’ en ce dernier mercredi d’octobre.
La configuration de la salle est déclinée en format ‘Théâtre’ pour cette délicieuse soirée. Pas moins de 750 sièges rouges et moelleux se dressent donc devant nous et l’on ne peut qu’applaudir l’initiative qui a pour effet de renforcer cette impression d’assister à un concert depuis son propre salon. Rien de tel pour apprivoiser les univers variés auxquels nous allons avoir affaire de la manière la plus confortable qui soit. Mais avant l’arrivée de la bande à Bruce Soord, place à Alex Henry Foster & The Long Shadows nous arrivant tout droit de la froideur du Québec. Le groupe oscillant entre psyché et shoegaze va tisser sous nos oreilles ébahies une délicate toile sonore à l’aide d’accords de prime abord lents mais qui vont rapidement évoluer vers des arpèges bien plus moroses et saccadés. Tout commence par une longue introduction instrumentale de près de huit minutes où la voix envoûtante de la claviériste nous rappelle une certaine Lisa Gerrard et son Dead Can Dance. Les guitares caressées à l’aide d’archets accompagnent la prestation et l’on ressent une véritable montée de fièvre accentuée par ces crépitements de basse nerveuse. Deux percussionnistes alternant respectivement xylophone et guitare se chargent d’apporter toute la lourdeur au propos. Alex Henry Foster arpente la scène de long en large n’hésitant pas à frapper son ampli avec son manche de guitare. Véritable prédicateur, bras élevés vers les cieux, notre homme scande ses textes avec douleur et introspection. Lorsqu’il prend la parole, c’est pourtant pour amuser la galerie en lançant : « Est-ce que tout le monde parle le français, ici ? » suscitant les rires du public néerlandophone. Bon joueur, il tentera tout de même une petite phrase dans la langue de Vondel traduisant sa joie d’être de retour sur les routes et remerciant du fond du cœur The Pineapple Thief d’avoir eu la gentillesse de lui proposer de faire leur première partie. C’est sur le titre The Hunter au chant post-rock par excellence et sous une belle ovation que le groupe nous quitte. Alex Henry Foster aura fourni une prestation très émouvante à mi-chemin entre Radiohead et Mogwai et sera de retour en Belgique et plus particulièrement au Trix d’Anvers en juin prochain. C’est tout le mal qu’on puisse lui souhaiter par les vagues qui courent…
« Plus épurée que ça, tu meurs » serait-on tenté de dire en découvrant la scène qui se prépare à accueillir ‘le Chapardeur d’Ananas’. Mais de vol, il n’en sera pourtant pas question ce soir tant le groupe va s’évertuer à offrir une prestation honnête revenant notamment à une musique plus spontanée malgré une légère tendance vers une pop épurée de plus en plus prononcée et perceptible au fil des années. Autrefois qualifié de ‘petit frère du Porcupine Tree’, le combo britannique a su se forger une belle part du gâteau et ce, sans prétention aucune. Les lumières s’éteignent et font place à une salve d’applaudissements nourris tantôt nerveux tantôt bougrement excités de découvrir les nouveaux morceaux en live. On démarre avec la chanson éponyme de ce dernier opus entamée par la voix délicate de Bruce Soord rapidement rejointe par le jeu de cymbales du cogneur Gavin Harrison (Porcupine Tree, King Crimson) qui est d’une précision chirurgicale. Il faut dire que l’apport de ce dernier a particulièrement solidifié les bases du groupe depuis son arrivée en 2016. La basse vrombissante laissant place de temps à autre à de délicieuses consonances caribéennes (évoquant Peter Gabriel durant les eighties), nous avons affaire à une entrée en matière particulièrement déroutante. L’enchaînement avec In Exile, un des points d’orgue de leur succès discographique de 2016 (« Your Wilderness ») est tout à fait approprié dès lors que l’on retrouve ces rythmes plus complexes mais tellement bien exécutés par un Harrison des plus perspicaces derrière son kit. Le claviériste Steve Kitch est déjà prié de se reposer pour l’intro de Warm Seas laissant les rênes au nouveau guitariste fraîchement engagé pour cette nouvelle tournée. On sort la guitare acoustique pour le récent morceau Demons dont les claviers célestes offrent au live une aura et une dimension mille fois supérieures à la version CD. Des frissons s’emparent donc de l’assemblée pour ce qui est l’un des premiers highlights de ce périple sonore. Jon Sykes, sautillant bassiste de son état, au crâne lustré et coiffé (si l’on ose dire) d’un casque d’écoute blanc, s’éclate sur la suite et plus particulièrement sur Our Mire pour lequel Bruce tente un solo qui tombe légèrement à plat. Après que Gavin ait promis de faire résonner une petite clochette à chaque erreur de son chanteur, l’ensemble entame That Shore, exemple parfait de construction sombre, expansive et terriblement dramatique avant que les chœurs de Threatening War ne viennent harmoniser un peu plus l’affaire. Après une très brève présentation du newbie gratteux, l’enchaînement immédiat avec Far Below voit le groupe revenir à ses amours progressifs et son riff de guitare abrupt secoue d’ailleurs pas mal de cervicales dans l’assemblée.
On ralentit sérieusement le tempo pour le très dépouillé Driving Like Maniacs où l’on regrette pour la première (et seule) fois une nette perte de vitesse. Fort heureusement, la machine se remet en marche de plus belle avec White Mist à la fin duquel la foule est en délire total. Il faut dire que l’album « Dissolution » paru en 2018 et ayant recueilli de nombreux suffrages a désormais une place de choix dans le cœur des fans de la première heure. Il n’en faut pas plus au groupe pour agencer la suite de son show avec une nouvelle pépite de cet album, à savoir Uncovering Your Tracks, très Steven Wilson friendly dans son approche. Résolument rock, Break It All transpire pourtant la complexité mais n’en demeure pas moins un morceau catchy. Soord annonce solennellement à ce stade des hostilités : « Je suis navré de vous annoncer que ceci est notre dernier morceau » avant d’entamer Wretched Soul pour lequel on envoie du lourd du côté des lights. On assiste dès lors à un incroyable spectacle visuel de première bourre au son de ce boogie incisif et légèrement electro. Un rappel nourri plus tard et revoici le gang du Somerset de retour sur scène pour nous offrir trois derniers petits bijoux dont le très floydien Part Zero auquel les claviers apportent une certaine rondeur et dont les courts crescendos évoquent un Opeth en mal d’amour. Le diamant brut qu’est The Final Thing On My Mind joue la carte de la mélancolie avant un dernier baroud d’honneur techno savamment orchestré par Nothing At Best qui ponctue ces retrouvailles que l’on pensait inaccessibles…
Longtemps placé sous la bannière prog, The Pineapple Thief n’a jamais aussi bien personnifié l’adage qui veut que « la vérité d’un jour n’est pas toujours celle du lendemain ». Ayant fait évoluer sa musique dans des territoires résolument pop, le Fruit a eu le temps de mûrir afin de nous proposer un show sous la forme d’un dessert délicieusement savoureux que l’on s’est empressé d’engloutir sans risquer l’indigestion. Et surtout, on en redemande !
Remerciements à l’Ancienne Belgique
SHOOT ME AGAIN
27 octobre 2021